Arrêtons de tourner autour du pot : il faut qu’on parle.
Un sujet qu’on avait mis sous le tapis, une recette de gnocchis terroiristes en direct d’Ivresse à Marseille, une reco goulottée de Caroline Loiseleux (Les Trois Coups) et une iode à la joie.
Quinze décembre et le souffle coupé, la nuque raide, la bouche sèche. La fin de l’année fait l’effet d’un bout de course, les ultimes foulées avant la ligne d’arrivée – épuisé·e·s. Quand la distance restant à parcourir semble encore trop longue, les derniers jours presque insurmontables, on se répète : « Un pied devant l’autre ! » Le corps sait, l’esprit suit. Mais si le marathon est trop long, trop intense, trop trop, trop tout, il arrive que la machine, celle que l’on pensait être devenue, s’éteigne. Erreur système. Les circuits ont fondu.
C’est un·e restaurateur·rice qui se dit complètement débordé·e, claqué·e, déprimé·e, en même temps que son travail est célébré. C’est un·e serveur·se qui fait une crise d’angoisse au coin de la rue, la vue et son univers rétrécis. C’est un·e cuinisier·ère qui, après le service, s’assomme à coups de podcasts et de verres d’éthanol pour arriver à fermer l’œil. C’est le chef et auteur qui finit par se foutre en l’air au beau milieu du tournage de son émission culinaire.
En juillet dernier, lors de l’enregistrement de notre podcast Plans de Tables, Laura Vidal (cofondatrice d’une tripotée de belles adresses à Marseille et Arles), nous disait ceci : « C’est un métier vraiment difficile. “Top Chef”, les films, l’histoire de la créativité… Ce n’est pas la réalité. Ce métier, c’est ouvrir des bêtes, sortir des entrailles, nettoyer avec des produits qui puent, ramasser de la merde… Les plongeurs ont les doigts tout rabougris, nous on a mal au dos, c’est hyper-stressant et anxiogène. Et pour quelqu’un qui a des problèmes de santé mentale, c’est terrible. »
Je pense souvent à celui qui est parti une nuit de juin 2018, Anthony Bourdain, à sa voix (reconstituée) dans le documentaire controversé Roadrunner. À la réflexion qui a régulièrement entrecoupé mon visionnage mouillé de larmes : tout ce talent, perdu. Alors certes, le souvenir n’est pas très joyeux, ce sujet encore moins. Mais la santé mentale, quand elle va mal, est de ces préoccupations qui méritent bien qu’on interrompe, au moins le temps de quelques lignes, le programme actuel des paquets cadeaux et verres à bulles.
D’autant que celle des travailleur·se·s de la restauration reste encore trop peu considérée. Pire, le fait d’être épuisé·e voire maltraité·e psychologiquement n’est souvent pas reconnu en tant que tel – il arrive même que cet état soit célébré. Quel drôle de métier. Quand, au début du premier confinement, les restaurants ont dû fermer, plusieurs articles anglo-saxons se sont concentrés sur la santé mentale de leurs trimeur·se·s – dont celui-ci, qui propose une vingtaine de pistes d’aide. En France ? Rien, ou si peu. Et si, en 2023, on mettait (vraiment) le sujet sur la table ?
Elisabeth Debourse, rédactrice en chef
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