Bienvenue chez les Abstinents anonymes
Cette semaine dans Saucisse, une reco désalcoolisée, une recette de pasta à la harissa par Johann Barichasse, les meilleurs articles et séries food, et des paniers Passerini à gagner.
C’est une drôle d’habitude, l’alcool. À un mariage, le plus petit dénominateur commun des invité·e·s est le vin d’honneur. Vous êtes enceinte (ou pas) ? On déduit votre nouvel état au Pac citron que vous sirotez. Quelques mois plus tard, à peine sorti·e·s de la salle de travail, les parent·e·s sont cueilli·e·s au champ’. D’ailleurs, on le dégaine pour toutes les (plus ou moins) grandes occasions : un diplôme, un appart, n’importe quel nouveau projet dans lequel vous vous êtes fourré·e – y compris celui de ne pas faire une crise de nerfs ce jour-là. Car une bouteille n’est pas seulement tire-bouchonnée pour souligner un heureux événement : on a « besoin d’un verre » après une dure journée, on sirote un kir royal en souvenir de mamie qu’on vient d’enterrer, on sort s’imbiber pour oublier le mec ou la fille qui nous a lâché·e.
Claude Fischler n’est pas un sociologue de comptoir, mais bien de la table. Dans L’Homnivore, brique fondatrice des food studies francophones, il écrit que l’alcool « établit un espace d’intimité et de communication. Il ordonne et maîtrise le temps – il le suspend pour introduire à la détente et à l’échange, le précipite ou le souligne pour susciter les réjouissances bachiques, bref, il lui donne une signification sociale en le ponctuant ». C’est lui qui veut qu’une journée de boulot s’achève par une pinte entre collègues, fait glisser « je te paye un verre ? » à cette personne spéciale au bar, ou beugler « c’est ma tournée ! » à toute une clique réunie – le fameux lubrifiant social qui, en teuf, vous dérouille les jambes. Ou vous les coupe, au choix. Parce qu’il a vite fait d’arriver, le moment où c’est toujours l’heure de l’apéro quelque part dans le monde, et où le cordial ne l’est plus tant que ça.
Oh, loin de moi l’envie de vous faire la morale. Disons qu’on pourrait juste, de temps en temps, trouver autre chose pour se rassembler qu’un feu de joie alcoolisé. En mai dernier, de passage de l’autre côté de l’Atlantique, je suis tombée pour la première fois sur une cave désimbibée. Ça ressemblait à un savant cocktail de magasin de jouets stylé, d’épicerie à la coule et de centre d’hydrothérapie. Et voilà que je me voyais bien, pour la première fois, passer plusieurs mois sans décapsuler quoi que ce soit – ou plutôt, seulement ces flacons-là. Par chance, on a trouvé son équivalent parigot : Le Paon qui Boit. Alors, quand il a fallu dégoter quatre cavistes pour notre rubrique « Au goulot ! », on a tout de suite pensé à Augustin Laborde et ses quilles arty, ses mousses maousses et ses spiritueux très spirituels… De quoi virer Abstinent anonyme et dire ta gueule à la gueule de bois. Quoi, ce n’est pas de ça que vous parliez, quand vous causiez sobriété ?
Elisabeth Debourse, rédactrice en chef
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