Les riches mangent-ils vraiment de la brioche ?
Cette semaine dans Saucisse, une recette de gnocchis trop kikis, un guide pour visiter Rome avec la bouche, une reco très goulottée, les meilleurs articles food et des entrées pour Poulet Frites.
Mes congénères qui gagnent leur croûte en mangeant sont toujours abasourdi·e·s quand je leur raconte qu’enfant, je n’allais jamais au restaurant. Et à chacun de leurs « Ah booon ? », quelque chose tressaute en moi. Un petit haut-le-cœur d’inadéquation, d’agacement et de fierté à la fois. Inadéquation parce que cet étonnement me rappelle que quand mes collègues de table découvraient la saveur d’une sole parfaitement cuite, bien beurrée et servie dans une assiette chauffée avec des pommes de terre tournées, je tournais quant à moi en rond dans un menu strictement domestique et bimensuel, composé de spaghettis, côtelettes de porc et bâtonnets de poisson. Leur éducation culinaire est bien plus ancienne, plus profonde que la mienne, puisant notamment dans les repas de famille au restaurant. Et reconnaître ses lacunes dans notre métier de fines et grandes gueules, c’est toujours un peu humiliant. D’agacement aussi, parce que vraiment, il faut avoir trop peu côtoyé de gens pauvres pour lever un sourcil quand ils vous avouent, à demi-mot, que leurs parents n’avaient pas les moyens de les emmener à la brasserie du coin. De fierté enfin, parce que hé, les restos font partie de ma vie à moi aussi, aujourd’hui. Y aller est mon métier, celui-là même qui me permet de payer le loyer. Et dans ma tête, ça voulait dire que j’y étais arrivée.
Mais en route pour ma prochaine réservation, j’ai probablement laissé ma famille et quelques ami·e·s sur le bas-côté. Je suis devenue la bobio de ma fratrie et la copine qui propose toujours de se retrouver pour dîner, en oubliant parfois que tout le monde ne le peut pas, n’aime même pas forcément ça. Transfuge de classe, j’en suis venue à être gênée de dévoiler le montant de l’addition d’un repas pourtant instagrammé – d’autant plus dans ce qui ressemble au début d’une crise économique et me fait, moi aussi, terriblement flipper. M’attabler m’a transformée, mais à quel prix ? Dans un article publié par The Guardian, la chroniqueuse Poppy Noor pose la question (complexe) plus frontalement : « Est-ce bourgeois d’aimer la bonne bouffe ? » Ce à quoi elle répond personnellement : « J’ai beau avoir grandi dans une famille de la classe ouvrière, j’aime les olives, les amandes salées et le pain au levain. Ce que vous considérez comme une habitude alimentaire de personne riche, je m’en délecte, et qu’importe si on me traite de traître à ma classe. J’aime aussi toujours le poulet frit des fast foods les plus cheap et gras. J’engloutis avec appétit les spaghettis bolognaise de ma mère, préparés avec de la sauce en bocal, j’adore les burgers au micro-ondes de station-service et je dévore les sandwichs triangle à 2,99 £ planqués au fond du supermarché. »
Ce qui me frappe dans ce que la chroniqueuse britannique Poppy Noor raconte, c’est que finalement, certains des aliments qu’elle juge « bourgeois » ne le sont pas tant que ça pour d’autres cultures. Les olives, les amandes, le pain au levain sont communs pour qui les a récoltés à portée de bouche ou pétris à la main – plus souvent par nécessité que par désir, d’ailleurs. « Votre âme encaisse un truc vraiment moche quand on considère les produits qui vous ont apporté du confort comme vulgaires, hors sujet. » À l’inverse, le repas peut laisser un goût amer quand ces produits sont désormais portés aux nues par ceux-là mêmes qui faisaient la moue. C’est compliqué, mais empouvoirant de le décortiquer. Ce qu’on met, ce qu’on peut mettre dans son assiette, est si intime et en même temps aujourd’hui tellement public, qu’on ne peut pas se permettre de ne pas l’interroger. L’information (internationale) le fait. Elle le fait d’ailleurs de mieux en mieux. C’est pour ça que toutes les semaines, Saucisse vous apporte « sur un plateau » les articles, documentaires, séries et podcasts qu’on a avalés au Fooding, et qui nous ont fait réfléchir – comme cet article de Poppy Noor. Pour le coup, on ne va pas se priver.
Elisabeth Debourse, rédactrice en chef
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