Quel goût aura Saucisse en 2076 ?
Cette semaine, un voyage dans le temps, un classique de la pasta avec Riccardo Ferrante (Jones), une reco de quille par Nathan Ratapu (Rerenga Wines) et des places pour Plans de Tables à gagner.
Une fois par mois, Saucisse change de main – et de voix ! Notre première invitée, Anna Broujean, se carte-de-visite comme artiste plasticienne et DA, passée par l’École nationale supérieure de la photographie avant de lancer Club Sandwich, une revue annuelle et thématique qui botte les miches, à la croisée de la bouffe, de la socio et de l’art. Dont le style n’a d’égal que son impertinente intelligence, à l’heure où l’on se pignole probablement un peu trop sur les chef·fe·s et leurs assiettes – les recettes de pasta mises à part, évidemment. À mes yeux écarquillés, il reste le magazine food français et indé ultime, l’authentique trublion du bon goût (comme du mauvais), trash et classe, intello et généreux à la fois. Tenez, ça me rappelle quelque chose... Ça me reviendra. Dans cet édito, Anna Broujean met son imagination au service de ses recherches sur nos futurs possibles, loin d’être simples – et toujours plus proches.
Elisabeth Debourse, rédactrice en chef
Nous sommes en 2076. Dehors, il fait 48 degrés – une douce journée automnale. Il est cinq heures du matin, l’heure du dîner pour un monde qui s’éveille désormais au coucher du soleil. Vous vous dirigez vers l’inservateur, qui remplace depuis 2039 le frigo, bien trop gourmand en électricité. Vous venez de recevoir votre allocation mensuelle et le choix vous submerge. La logique voudrait que vous commenciez par consommer les produits frais, mais il n’y en a plus depuis que la majeure partie des sols sont devenus arides et sablonneux. Pour voir des tracteurs et des charrues, il faut se rendre à AgriWorld, un parc d’attraction en région parisienne dont le fleuron est une moissonneuse-batteuse de dix mètres de haut qui tourne sur elle-même comme une éolienne. « Émotions fortes garanties ! » promet le panneau à l’entrée.
La Banque Centrale de Nourriture (BCN) a été établie en 2052, après la Seconde Famine mondiale. Une façon pour les gouvernements d’assurer la répartition équitable des ressources, bien que les plus riches n’aient pas totalement arrêté de se goberger. L’organisation de la BCN est maintenant bien rodée : elle contrôle l’intégralité de la nourriture qui pousse en laboratoire, ainsi que les trois quarts des Produits Vivants Absorbables (insectes, herbes, bois). Une collecte est effectuée mensuellement, classée, divisée avant d’être répartie à travers le monde. Tous les premiers mercredis du mois, chaque foyer découvre son panier, identique, que vous habitiez en Réunion d’Europe ou en Amérinde – les frontières ont quelque peu changé.
Découvrons ce qu’on mange en octobre. Parmi les produits les plus populaires, la mortacitrus. De la taille d’une orange, son écorce s’épluche pour dévoiler un cœur de mortadelle. Elle se transporte facilement et son goût, proche de celui du porc, démontre les fantastiques progrès sur le foin de synthèse. Difficile à digérer pour les Français·es, historiquement attaché·e·s au saucisson en terrasse, cette charcuterie s’offre partout ailleurs pour célébrer un événement heureux.
Depuis que les fruits sont emballés dans des peaux imprimées en 3D, les ingénieur·e·s expérimentent avec les formes. Fini les ronds, demi-ovales, tubes et triangles approximatifs, le fruit s’épanouit dans la créativité. Le catalogue de formes contient 1 300 possibilités, mais c’est la banane en W qui s’est très largement imposée en tête des demandes. Ludique, elle s’enroule lascivement sur elle-même à trois reprises, pour deux fois plus de potassium.
Céréales et légumes ayant majoritairement disparu, le lait végétal n’est plus. Une alternative bien plus écologique et protéinée a pris sa place : le lait d’insecte. Lait de cafard, de coccinelle, de fourmi, de sauterelle... Une boisson douce et neutre qui ramollit parfaitement les plus dures traditions.
Enfin, au fond de l’inservateur, un bouquet de verdure, la couleur la plus difficile à reproduire en laboratoire. Ce mois-ci, on vous gâte avec une garniture fraîche ! Sur une authentique bûche de bois, quelques feuilles d’ortie, l’une des seules plantes que l’on peut encore trouver en forêt, dans les climats humides et les sols rocheux. Vous caressez ses feuilles velues avec incrédulité. Après la brûlure, le bonheur.
Anna Broujean
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