« Votre putain de guide, il sortira jamais ! »
Cette semaine, les souvenirs de l’un des tauliers du Fooding, un guide de Copenhague, une recette de pasta signée Éléonore Toulin et une reco dégnolisée d’Augustin Laborde (Le Paon qui Boit).
Une fois par mois, Saucisse change de main – et de voix ! Celle d’aujourd’hui appartient à un popoteur de l’ombre, mais de ceux qui font littéralement le guide Fooding, triturant les mots (en inventant parfois) et traquant les coquilles pour tuer dans l’œuf la moindre erreur... C’est notre secrétaire de rédaction depuis presque trop d’années pour les compter, marraine la fée des bons à tirer et véritable pilier, répondant au nom charmant d’Yves Nespoulous. Après un nouveau mois à slurper des raviolis, gober des bonbecs et aligner les points médians à la rédaction, il revient sur deux (trois, même) bouclages euphoriques, chacun à un bout du spectre de l’histoire du guide – dont la toute nouvelle édition sortira ce 17 novembre. L’occasion pour nous de lui avouer : Yves, le Fooding te doit tant !
Elisabeth Debourse, rédactrice en chef
Été 2001, 1, rue du Colonel-Pierre-Avia, Issy-les-Moulineaux. Bouclage du sixième numéro de Max Mode, automne-hiver 2001-2002. Directeur de la rédaction, Laurent Bon. Signatures : Paquita Paquin, Loïc Prigent, Stéphane Bern, Patrick Eudeline… Secrétaire de rédaction, moi. Rédacteur en chef de ce numéro, Alexandre Cammas. Je vois arriver le mec, 30 ans, cheveux bouclés, la bougeotte. Au bout de quinze jours, il me dit : « On fait un guide de bouffe à Nova, ça s’appelle le Fooding, ça t’amuserait ? » OK, ça m’amusera. Nova, ça fout un peu la trouille quand on sort d’un magazine de mode. Jean-François Bizot, la free press, la suite d’Actuel, que je vénérais dans les années 1970, la radio qui passe des trucs qui me dépassent. On m’avait prévenu : « Fais gaffe, à Nova, ils paient pas, et c’est le bordel. » Demi-fake news : ils paient. Et c’est vite réglé : 100 balles de l’heure.
Automne 2001, 33, rue du Faubourg-Saint-Antoine, Paris. Bouclage du #2 du guide Fooding. Un building bizarre béton-verre-lierre. Les milliers de vinyles de Radio Nova. Un accueil qui filtre pas tellement. L’ascenseur en panne deux jours sur trois, l’escalier qui sent la pisse (Bizot y laisse dormir un SDF). L’agitation permanente, Édouard Baer qui passe en gueulant des trucs dans un mégaphone, la fumée de tout ce qui se fume. Le bureau du Fooding, au 6e, une pièce de 15 m² avec une fenêtre en haut du mur, une table au milieu et des ordis dessus. À la direction artistique de ce guide 2002, Karel Balas (il créera Milk un peu plus tard) et Caroline Maillet, que Bizot appelle Mitaine parce qu’elle en porte, et moi Évreux, parce que j’en viens. Les journalistes qui apportent leurs disquettes : Emmanuel Rubin, Sébastien Demorand, Régis de Closets, François-Régis Gaudry… Les bouclages, c’est toujours boulot-boulot, mais là, c’est du romain : 1 000 adresses de restos, boîtes et bars parisiens et, cette année-là, pas de bol, des prix en francs avec leur équivalent en euros, à taper sur des claviers sans symbole €. Des Macs qui plantent, de l’impro. Bizot qui déboule de son perchoir au 7e pour un round de commentaires vers minuit, 1 heure, un gentil sabotage des trouvailles de Cammas, qui en a en réserve. Et pour fignoler le casse-tête, les descentes funky-terrorisantes de Jacques Massadian (ex-patron du Globo, ex-agent de Jamel Debbouze), chef de fabrication, promotion, développement : « Les mecs, si vous avez pas fini dans deux heures, votre putain de guide, il sortira jamais ! »
Finalement, il est sorti, Jacques. Même quand Jean-François a arrêté Nova, et que le Fooding a trouvé refuge à Libé, puis au Nouvel Obs, même pendant le Covid, pour ses 20 ans. Même après le départ d’Alexandre Cammas.
Automne 2022, 327, rue Saint-Martin, Paris. Bouclage du vingt-troisième guide Fooding. Un immeuble haussmannien cossu, parquet, moulures, digicode, machine à café, viennoiseries, Mac dernière génération. Et pourtant encore une pièce surpeuplée de 15 m², avec Christine, Naïké, Thibault, les Choque Le Goff et Elisabeth. Qui m’a demandé d’écrire cette « petite bafouille sur la création d’un guide Fooding ». Mais qui a oublié de me demander si ça m’amuse toujours. Affirmatif !
Yves Nespoulous, secrétaire de rédaction du guide Fooding 1, 2, 3, 4…
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